PASSER, COUPER, BARRER (...)

Engagées dans un étrange ballet, des mains et parties de corps rentrent en dialogue, sans que des mots soient échangés. Transmis de personne en personne et/ou de génération en génération, ces gestes de soin s’exercent fréquemment dans des cadres confidentiels et se diffusent par le bouche-à-oreille.
Il ne s’agit pourtant pas de vouloir créer une aura artificielle de mystère autour du savoir empirique des passeurs et passeuses de feu. La volonté est plutôt d’en préserver le caractère profondément interpersonnel, et de souligner sa dimension sensible plutôt qu’intellectuelle. C’est de cette humilité qu’Estelle Chaigne tente de rendre compte. Avec un cadrage intimiste, sans volonté documentaire, dans le respect de l’anonymat des personnes, la caméra observe ces gestes fluides et simples, guidés par les énergies ressenties plutôt que par la conscience. Il n’y a aucune volonté d’expliquer ou de juger
ce que capture l’image, juste un intérêt sincère pour l’attention à l’autre que cela implique, pour la co-présence incarnée et accueillante, de plus en plus absente des consultations
de médecine libérale soumises à la cadence de la rentabilité. La caméra, ne pouvant enregistrer que les signes visibles, tels que les gestes qui capturent et « jettent » le feu, recrée une certaine distance au sujet tout en soulignant presque malgré elle la part d’indicible qui habite ces pratiques du soin.

texte d'Isabelle Henrion